Lawrence Weiner

Statement n°237, 1971
DEDANS ET DEHORS, DEHORS ET DEDANS,
ET DEDANS ET DEHORS, ET DEHORS ET DEDANS
,
Installation au 26, rue Beaubourg, Paris.

 

Un article pour la revue art press

    Lawrence Weiner : les multiples
    Exposition chez Marian Goodman du 2 mars au 27 avril 1996


    La première bonne idée pour cette rétrospective des multiples de Lawrence Weiner, apparait dès la réception de son invitation: un large poster représentant, tel un catalogue raisonné, l'ensemble des éditions de l'artiste sous un titre qui en fait une oeuvre globale : "SOME THINGS BROUGHT TO HAND". La deuxième ce fût le jour du vernissage avec l'arrivée d'un public aussi varié et animé que les oeuvres elles-mêmes. Pour de l'art conceptuel c'était plutôt joyeusement coloré ! !

    C'est à cette occasion qu'il est bon de se souvenir qu'avant de se définir comme artiste conceptuel, Lawrence Weiner a toujours souhaité qu'on le considère d'abord comme un sculpteur, un manipulateur d'objets qu'il s'amuse ensuite à inscrire dans des contextes sociaux et idéologiques à l'aide de leurs transcriptions dans la langue. Dans ses énoncés il est en effet question de matière, de couleur, de position, de tension, d'occupation de l'espace, de mouvement ou de durée, toutes des préoccupations appartenant effectivement au domaine de la sculpture si l'on veut bien la considérer dans son sens le plus large.

    Devant un bérêt de marin et son intitulé "& VERS LES ETOILES", le couteau "LOST AT SEA" ou le superbe vase "& ONWARD &" ...le spectateur de l'exposition prend un réel plaisir à libérer son imaginaire entre visible et lisible entre matérialisation et dématérialisation de l'objet d'art. Ici nous ne sommes pas en présence du geste radical des années 70 qui réduisait le concept à ses conditions minimales de présentation, nous avons au contraire l'affirmation qu'un objet peut être l'équivalent d'un texte dans son pouvoir d'évocation poétique ou ludique; nous avions trop tendance ces derniers temps, à voir privilégier l'inscription murale à titre d'oeuvre pour ne pas nous réjouir de ces jubilantes incartades à l'austérité stylistique du passé (certains ne vont pas manquer de s'étonner que ce soit moi qui tiennent ces propos !)

    Mais là n'est pas tout l'intérêt de cette présentation; car il faut aussi garder en mémoire qu'en 1968, une des premières expositions marquantes de l'artiste fût la diffusion de son livre Statements par Seth Siegelaub. Déja se manifestait l'idée que l'oeuvre d'art, à l'ère de sa reproductibilité technique, obéit à de multiples possibilités de propagation dans le champ de l'art, substituant ainsi un phénomène de masse à l'événement unique rattaché à l'oeuvre d'art originale. Les multiples, proposés ici, grâce à leurs petites tailles (quelques centimètres pour des pins), leurs prix modérés (à partir de 50 F), leur grand nombre possible, induisent de nouveaux paradigmes artistiques et nous intégrent à tout un réseau multiforme propre à voir se développer l'idée d'une communication d'ordre planétaire. Dans ce jeu de l'art, la circulation des multiples et les connexions qu'elles suscitent deviennent l'espace idéal du questionnement du rôle de l'art dans notre société. A l'époque de l'Internet pourrions-nous encore nous étonner que ces enchainements tous azimuths fonctionnent à l'image d'un hypermédia informatique ?

    principe établissant des liens entre des textes, des images et des sons vers d'autres textes, images et sons par l'intermédiaire de nos ordinateurs.

    GMV, 1996

 

ÉCRIT DANS LE CŒUR DES OBJETS
une œuvre de LAWRENCE WEINER à la Médiathèque de Troyes

A l’approche de la Médiathèque de l’Agglomération Troyenne, c’est à une absence de façades que nous semblons être confrontés. La géométrie du bâtiment se présente en effet incertaine et fuyante tout en s’offrant généreuse et disponible pour nous préparer exemplairement à l’œuvre de Lawrence Weiner qui nous est annoncée en son centre.

Une fois à l’intérieur, c’est d’ailleurs à une véritable déambulation que nous sommes conviés pour que s’acquièrent ces impressions d’espace, de lumière, de profondeur, ressenties comme une scénographie de paysage urbain où alternent spectre de couleurs et transparences.


Et c’est au long de ce parcours, au rez-de-chaussée, qu’emmerge progressivement une série de mots inscrits en parfait dialogue avec les effets architecturaux précités : ÉCRIT DANS LE CŒUR DES OBJETS est composé de grandes lettres à échelle architecturale, qui ne se dressent pas frontalement mais s’étirent en une phrase filante offrant ainsi à l’œuvre, un espace-temps qui favorise, de prime abord, une lecture énigmatique du côté du rêve.


Lawrence Weiner, a souvent été associé à l’art conceptuel en raison des énoncés textuels qu’il nous expose, mais il préfère définir ses œuvres à l’image de sculptures car ce qui l’intéresse au départ c’est de trouver des matériaux et des objets qu’il manipule pour leur donner une forme qu’il transcrira ensuite dans la langue.


Devant l’œuvre qu’il a créée sur le grand mur vitré de la médiathèque, c’est plutôt à une jolie histoire qu’il fait référence : le psychologue Jean Piaget demandait un jour à des enfants “pourquoi une pomme s’appelle-t-elle une pomme ?” l’un d’eux, après avoir réfléchi, lui rétorqua : “c’est très simple, parce que le mot pomme est écrit dans le cœur de la pomme”.


Et c’est ainsi qu’à la lecture scandée de l’énoncé ÉCRIT DANS LE CŒUR DES OBJETS, le spectateur qui l’interprète comme un fait accompli, peut en écho, libérer son imaginaire entre lisible et visible, entre réflexion et ludisme, tout en se posant la légitime question de la véritable nature de cette oeuvre. Cette dernière réalisée à dessein avec des mots détachés du registre narratif de la littérature, rend manifeste que le langage comme substance de l’œuvre, est utilisé par Lawrence Weiner en tant que matériau. Un matériau qui, contrairement au bois, à la pierre ou à la toile de l’artiste traditionnel, offre une beaucoup plus grande liberté d’applications et implicitement donne toute indépendance à l’œuvre par sa capacité à produire de la signification mais aussi paradoxalement du trouble ou de la dérive.


Car avec cet artiste nous ne sommes pas en présence d’un objet d’art qui s’imposerait matériellement pour nous interpeller, ici, malgré l’ampleur de sa très belle composition graphique, l’œuvre se place du côté de la suggestion, elle nous aide à commenter l’anecdote rapportée par Piaget, et par extension, nous exhorte à réfléchir sur le rapport existant entre la puissance du langage et la réticence qu’ont les objets concrets à se révéler à partir des mots qui servent à les décrire : une manière pour l’artiste d’analyser les mécanismes de la visualisation mais aussi de réveiller en nous des désirs inconscients auxquels nos codes liés à la communication nous imposent de renoncer.


Pour Lawrence Weiner, l’art doit mettre en perspective les rapports qu’entretiennent les objets entre eux et les êtres humains avec ces objets. Ses œuvres nous offrent une diversité de jeux descriptifs et sensitifs auxquels le public est invité à se percevoir lui-même dans l’évaluation de ses propres sentiments. De ce point de vue ÉCRIT DANS LE CŒUR DES OBJETS est fascinant parce que son propos est recevable en termes de sensibilité par les enfants comme par les adultes. De cette œuvre doivent émerger une prolifération de pensées poétiques autour de la compréhension du monde des objets. Et la synergie qui ne manque pas d’en résulter, nous incite alors à un subtil décryptage qui cependant, ne pourra jamais exprimer exhaustivement un énoncé en perpétuelle mutation.


Mc Luhan affirmait qu’une œuvre d’art n’a pas d’existence ou de fonction en dehors de ses effets sur les hommes qui l’observent. Si dans cette logique nous sommes conduits à faire fusionner l’art et la vie, ÉCRIT DANS LE CŒUR DES OBJETS rentre en parfaite résonance avec le vécu d’une médiathèque qui met idéalement en application cette philosophie.


GMV, 2004
pour les Éditions du Regard


    Quelques explications suplémentaires sur le propos de cet artiste.

     

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