ROBERT MORRIS :
QUELQUES NOTES SUR SES "OPEN CENTER SCULPTURES

    un article pour la revue Sans Titre (février 1998)

    Chez Pietro Sparta à Chagny nous est proposé un ensemble de quatre sculptures du précurseur clairvoyant de l'art minimal que fut Robert Morris. Ces oeuvres produites par la galerie et réalisées l'année dernière, trouvent d'ailleurs leur origine esquissée dans la période phare des années soixante.

    En ces années-là, nous assistions à un art qui opérait une transgression de ses propres limites formalistes pour accéder à un certain nombre d'expériences qui nous arrachaient à la primauté d'un monde refermé sur lui-même. Ainsi en était-il des chorégraphies de l'artiste, ses oeuvres dansées où les mouvements des corps ne devaient plus exprimer la vie intérieure des performers mais signifiaient plutôt une sorte d'interface corps/monde qui venaient s'accomplir dans l'appropriation de leur environnement spatial. De même, c'est ici l'exposition dans cette ancienne usine/entrepôt qui façonne l'oeuvre, c'est elle qui met en adéquation la présence matérielle de l'oeuvre sculpturale et l'expérience spatio-temporelle que nous en avons.

    Dans ces "Open Center Sculptures", on commence cependant par garder quelques distances (surtout lorsqu'il s'agit de passer sous l'une d'elles suspendue par des filins d'acier au plafond). Cet abord prudent à l'égard de ces matériaux indusriels bruts oblige à avoir un champ de vision beaucoup plus large que devant un objet moins volumineux, sur lequel on serait tenté de se pencher pour mieux en scruter intimement les divers éléments constitutifs. Par là, ces sculptures s'opposent quelque peu à la notion d'"objet spécifique" sur laquelle s'était fondée l'expérience de Donald judd, pour nous entrainer dans une "relation spécifique" entre l'objet, l'espace (et sa lumière), le spectateur (et le temps de l'expérience qu'il fait de l'oeuvre).

    Rappelons à cette occasion que l'approche de l'oeuvre liée au regard et aux déplacements du spectateur dans l'exposition avait été décrite par Robert Morris dans son célèbre article "Notes on sculpture" en 1966, et que c'est pour répondre à cette analyse que Michael Fried écrivit son non moins célèbre texte : "Art and objecthood" (Art et objectité) l'année suivante.

    Dans ce plaidoyer contre l'art de Robert Morris, Fried tentait de convaincre ses lecteurs que l'effet de théâtre dans l'art minimal représente la négation même de l'art, sous prétexte que l'oeuvre n'est plus une autocréation autonome indépendante du cadre de sa présentation !

    De grandes dimensions parce qu'elles doivent être proportionnelles au lieu, les "Open Center Sculptures" n'en sont pas pour autant monumentales, et si elles n'inspirent vraiment pas la caresse de leurs surfaces, elles ne nous dominent pas pour autant et finissent même par nous inviter à nous rapprocher, à venir confronter leur pesanteur immobile et imposante à notre corps mouvant et pensant, parfois à les pénétrer réellement (quand leurs structures nous y autorisent) ou mentalement (pour celle qui est constituée de cercles fermés inspirant un labyrinthe primaire). Nous sommes alors en train d'établir un dialogue entre l'esprit et la matière, la mémoire et l'action présente, la connaissance et l'expérimentation. C'est là que résident le sens d'une telle oeuvre, son dynamisme et sa raison d'être.

    L'esthétique matérialiste proposée par Robert Morris vise à rapprocher la fin de ses moyens et se révèle à ce stade tout à fait déterminante : les matériaux utilisés sont loin d'être "transsubstanciés", leur intégrité est respectée et ressentie naturellement à l'intérieur de l'oeuvre globale sans aucune projection fantasmatique de la part du spectateur. De plus, l'exploration affirmée des formes, des proportions, de la masse, du vide, du plein et de tous les éléments propres à la pratique sculpturale, avive le sens des engagement essentiels de la sculpture et de sa perception. C'est donc une oeuvre cognitive plutôt que significative qui s'impose à nous et nous amène à une exploration qui dévoile tout à la fois le caractère temporal de notre expérience esthétique et l'écroulement des valeurs du plaisir rattaché à la simple contemplation passive.

    Une approche de l'art où les partisans du moindre effort vont encore être déçus!

    GMV, 1998

     

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