L'art doit-il être artistique ?

Quand, comment, pourquoi et où y a-t-il de l'art aujourd'hui?

(un manifeste pour "Sans Titre", septembre 1998 et pour Visuel(s) mars 2000)

Face à un art qui se joue des "fashion victims" en plaçant le kitsch, le détournement, le simulacre, la transgression, le clonage, le fiasco, voire l'imposture, au sommet de la contre-culture, la question qui se pose actuellement n'est plus "quelles sont les limites de l'art ?" mais "quand, comment, pourquoi et où y a-t-il de l'art aujourd'hui ?"

Car à force d'exclure tout ce qui de l'artiste du passé faisait sa raison d'être, son talent, son savoir-faire, sa valeur mithique, son charisme..., l'art s'est mis au diapason d'une société qui tend à tout niveler dans des réseaux de communication où triomphe désormais le célèbre quart d'heure warholien de la gloire pour tous

L'état du "grand art" est alors l'objet d'un débat au sein d'une culture qui s'est standardisée dans l'industrialisation et la mondialisation; c'est à cette structure façonnée par l'Internet que nous devons sa démocratisation et l'apparition de nouveaux espaces conviviaux; c'est là qu'intervient entre réalité du fonctionnement social et fantasme d'une communauté interactive, l'artiste de cette fin de siècle.

Les contours sociaux de l'art sont devenus l'art lui-même!

A la suite de Warhol qui a eu le génie de contaminer l'art en assimilant ses oeuvres aux produits de grande consommation ou de Guy Debord qui pensait qu'une certaine vie aventureuse valait mieux que toute forme d'art ou encore de Filliou pour qui "l'art c'est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art", l'esthétique tend de plus en plus à se positionner comme éthique dans une relation au champ social qui induit les éléments de sa propre définition.

Qui s'étonnera alors qu'à force de suivre l'art dans ses connexions avec notre société (la mode, le design, l'architecture, l'informatique, la communication... mais aussi les jardins, le sport, la fête...), il devienne plus intéressant de s'en tenir à ce qu'est cette société et à ce qu'elle engendre. Dans cette optique nouvelle, nous expérimenterions l'impact d'une réflexion rattachée à ce que nous attendons de l'art mais que nous ne retrouvons qu'édulcorée dans les recyclages et adaptations diverses opérés dans les lieux spécifiques à l'art ?

Par ce repérage systématique des faits de société, le monde serait enfin considéré pour ce qu'il est, avec une prise de conscience qui, loin d'être pessimiste, conduirait plutôt à une mobilisation pour de justes causes et à une lucidité que viendrait mettre en relief un art libéré de l'idée de l'art.

Et faire de l'art qui serait libéré de l'idée de l'art ce serait évidemment tout un Art!

GMV, 1998



L'art doit-il être artistique ?

(un manifeste pour "Le tas d'esprits" de Ben, 2006)


Grâce à Marcel Duchamp, notre société ne se voit plus proposer des chefs-d'œuvre offerts à la contemplation émerveillée de ses spectateurs, elle est plutôt invitée à oublier le talent et à porter un regard observateur au-delà des œuvres elles-mêmes.

Apparaissent alors obsolètes les œuvres qui comportent des cadres, des "marie-louise", des socles ou des spots directionnels glorifiant leur autonomie. Comme deviennent archaïques, les galeries et les musées qui voudraient encore enfermer l'artiste dans leurs limites contraignantes. Toutes ces composantes rattachées à l'œuvre d'art traditionnelle et qui en quelque sorte l'encadraient et l'estampillaient pour mieux la juguler, sont remplacées par nos cadres architecturaux, sociaux ou idéologiques : un ensemble de contextes induisant les éléments de la définition de l'art et favorisant une osmose communautaire qui assimile les contours de l'art et ses réseaux, à l'art lui-même.

Dans cette optique nouvelle, l'art s'immisce dans toute une série de procédures, de rôles et de circuits inhérents à des pratiques collectives qui mettent à jour des modalités de production et de diffusion destinées à des œuvres interprétables en cascade. Tout devient évolutif dans une stratégie où l'art tient moins à la nature conventionnelle et privée de ses objets finis, qu'aux attitudes créatrices touchant à la scénographie de nos cadres de vie.

C'est pourquoi aujourd'hui, l’art c'est à la fois un état d'esprit et un multimédia, il est disséminé un peu partout et ne résulte pas seulement d'une libre association d'idées, de techniques ou de disciplines, il rompt avec la notion de style ou d'autosuffisance de l’œuvre pour s’associer à des activités qui lui sont périphériques: la mode, le design, l'architecture, l'informatique, la publicité mais aussi les jardins, le sport, la fête... Tout cela dans le dessein de légitimer des influences qui conduisent, salutairement, à remplacer le grand Art par un bel art de vivre !

GMV

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