ON KAWARA
WHOLE AND PARTS 1964 - 1995
(un article pour la revue art press,
Janvier 1997)
Même auprès des plus fervents inconditionnels
de l'oeuvre de On Kawara, on ne peut pas dire que l'annonce d'une rétrospective
provoque une grande excitation : il n'y a pas à première
vue de véritable scoop à en attendre, tant les Date Paintings,
télégrammes, cartes postales, calendrier et relevés
divers ont été largement publiés et analysés
. Devant l'absence de toute innovation formelle, l'amateur d'art pense
que l'affaire est entendue et que la suite est toujours facile à
deviner.
C'est justement dans ce cas de figure qu'il est alors salutaire de se
rendre à une exposition comme celle que nous propose le Nouveau
Musée/Institut d'art contemporain de Villeurbanne, il y a en
effet devant cette reconstitution autobiographique impressionnante d'exhaustivité,
matière à dispenser de nombreux commentaires sur chacun
des éléments mis en jeu par l'artiste dans leurs relations
les uns aux autres.
A la suite des premiers dessins qui indiquent le passage qu'opère
On Kawara entre l'art qu'il a pratiqué au Japon et le travail
qu'il développera à partir du monde occidental, c'est
avec "Title (Viet-Nam)" jamais encore présentée,
et "Location" dont Joseph Kosuth fût le premier propriétaire,
qu'émergent les premières réflexions qui lient
l'artiste à la problèmatique de l'art conceptuel : la
première oeuvre est un triptyque qui annonce la présence
d'un objet ("one thing") rattaché à une date
("1965") et à son lieu ("Viet-nam") tandis
que la deuxième est un simple énoncé de coordonnées
géographiques nous invitant à visualiser un site localisé
très exactement à 31°25 de latitude Nord et 8°41
de longitude Est.
Dès lors pour On Kawara, tout est annoncé; car ces
propositions qui ont valeur de vérité sont au coeur même
d'un programme pour lequel il n'y aura pas d'écart : la révélation
du temps et de son lieu matérialisés sous des formes répétitives
et sérielles par les actes qui règlent le cours de sa
vie sur terre.
A Villeurbanne nous en prenons pour trente ans !
Les Date Paintings apparaissent pour
la première fois le 4 janvier 1966, ce sont des peintures réalisées
dans une adéquation parfaite, les jours mêmes des dates
inscrites sur la toile. Malgré une facture mécaniste
qui leur font perdre en identité ce que la série gagne
en tant qu'oeuvre ( l'intitulé de chaque Date Painting est
Today Series 1966 - ), tout les oppose aux pratiques conceptuelles
: leurs dimensions sont spécifiques, les toiles aux couleurs
subtiles sont peintes méticuleusement par l'artiste lui-même,
elles sont d'une très grande fragilité et dans l'éventualité
désastreuse de quelques manipulations maladroites, non seulement
toute restauration se révèle impossible mais l'oeuvre
étant signée des plus classiquement au dos il ne peut
être question de la remplacer de façon standard. |
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Date painting,
acrylique sur toile, coupure de journal, boîte en carton. 20,5
x 26 cm |
Face à tant d'affectation, On Kawara se devait
d'adjoindre une contrepartie de l'ordre du constat, c'est pourquoi chaque
tableau est conservé dans une boîte en carton contenant
une coupure de presse qui informe du lieu et de sa date de réalisation.
Beaucoup plus logiquement, ce fragment de l'actualité suffirait
à lui seul mais c'est la Date Painting, objet du culte voué
au temps et proche du tableau traditionnel, qui a la place d'honneur
sur les cimaises du Musée.
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Télégramme "I am still alive"
|
Débarrassés
de toute considération esthétique, "100 Years Calendar"
et "Journals" décrivent toutes ces peintures.
Pour récapituler sans ambages l'ensemble précédemment
décrit, nous pourrions avantageusement nous satisfaire de ces
deux relevés méthodiques. D'autant plus que c'est avec
la même régularité que l'artiste rend compte de
son emploi du temps : coupures de presse (I Read) , liste des noms
de personnes rencontrées (I Met) , plans indiquant ses déplacements
(I Went) , et envoi de cartes postales (I Got up at) ou de télégrammes
(I Am Still Alive) sont autant d'éléments propres à
révéler dans un souci louable d'objectivité,
le vécu de On Kawara. |
Avec "One Millions Years" c'est toute l'histoire
de l'humanité dont l'artiste témoigne. Sous la forme d'une
énumération systématique de dates, cette oeuvre
symbolise une encyclopédie grandiose où tout serait englobé
sans distinction de notoriété ou d'anonymat. Les 4 000
pages de chiffres mis ainsi pour notre plus grande délectation
sur les tables du musée regroupent exhaustivement, d'une part
un million d'années (passées) dédié "à
tous ceux qui vécurent et qui sont morts", d'autre part
un million d'années (futures) dédié "au dernier".
Devant le déploiement de tous ces systèmes d'information
sur l'espace et le temps qui valide un "ici et maintenant",
les paradoxes ne manquent pas : certains ne veulent y voir qu'une oeuvre
baroque par excellence, une oeuvre miroir, celle qui renvoie aux abîmes
notre insignifiance pesante ... qui fait basculer la pensée,
nous entraine dans une spirale infernale, morbide, incontournable (Jean-Louis
Maubant) alors que d'autres s'obstinent non sans raison, à conceptualiser
ces données; pour ceux-là, les différents documents
choisis ne constituent qu'un prétexte à définir
un système spatio-temporel neutre et insignifiant; ils s'équivalent
dans la banalité d'un quotidien sans évolution, ne sont
que les maillons d'une chaîne indifférenciée qui
ne saurait mettre en exergue l'avènement de faits importants.
Que le temps associé au lieu soit synonyme de
simultanéité, de succession et de durée auxquels
il faut ajouter les notions de présent, de passé et d'avenir,
c'est ce qu'atteste le dispositif que nous soumet On Kawara. Cependant,
si l'art conceptuel, privilégie les opérations qui sont
liées aux modalités de conception de l'oeuvre, la question
se pose alors de justifier la présentation et l'appropriation
matérielles de ce vécu "ordinaire". L'exemplaire
qualité esthétique et documentaire de la mise en scène
qui nous est proposée au Nouveau Musée/Institut d'art
contemporain de Villeurbanne, nous amène à constater une
fois de plus, que l'art actuel tient moins à la nature conventionnelle
de ses produits qu'à la façon dont il nous entraine dans
un contexte idéologique, social et psychologique. Fort de ce
principe qui reste plus que jamais à l'ordre du jour, l'amateur
d'art authentique comprendra par exemple que s'il veut adhérer
vraiment à l'histoire de On Kawara, il lui faudra s'attacher
à l'inscription de son nom dans les classeurs des personnes que
l'artiste rencontre (I Met) plutôt qu'à l'acquisition d'une
peinture de plus (Date Painting) !
GMV
A l'occasion de l'exposition au Nouveau Musée/Institut
d'art contemporain, une très importante publication conçue
comme le livre de sa vie, propose pour la première fois une vue
d'ensemble de l'activité de On Kawara entre 1964 et 1995. Certaines
pages, comme celles consacrées à la fabrication des Date
Paintings peuvent être vues comme des contributions spécifiques.
L'ouvrage est conçue en trois parties : la première rassemble
des reproductions des travaux, la seconde une sélection de textes
critiques et la troisième, des vues d'expositions de 1970 à
1995. Cet ouvrage est édité par les Presses du Réel
avec la collaboration du Nouveau Musée/Institut.
Cette exposition inédite est produite par le Nouveau Musée/Institut
d'art contemporain et est présentée en 1997 au Castello
di Rivoli à Turin, au Musée d'Art Contemporain de Barcelone
et au Musée d'Art Contemporain de Tokyo début 1988...
Le
lecteur se reportera aux nombreux textes de René Denizot en particulier
in art press n°54 déc.81 et Les images quotidiennes du pouvoir
On Kawara au jour le jour, édit.Yvon Lambert, 1979.
Ce
calendrier pointe en jaune tous les jours de son existence, en vert
les jours où il réalise une seule peinture et en rouge,
plus d'une. Depuis toujours On Kawara s'est voulu délibérément
une énigme : personne ne le voit jamais le jour de ses vernissages,
aucune photo ne le représente dans les catalogues qui lui sont
consacrés, il ne répond pas aux questions de son courrier
et règlant sa vie sur celle d'un métronome, il refuse
de donner sa date de naissance autrement que par le nombre de jours
qu'il a déja vécu. Si vous voulez déjouer son extrème
discrétion vous pouvez lui souhaiter son anniversaire : grâce
à une lecture attentive de 100 Years Calendar , il nous est permis
de dévoiler que l'artiste est né le 24 décembre
1932.
Accueil
Agent d'art, Expert-conseil
Expert honoraire près la Cour d'Appel de Paris
Membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art
59, ave Ledru-Rollin 75012 Paris France
Tel. +33 1 40 02 07 40
E-Mail: mollet-vieville@noos.fr
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