Donald Judd
Lorsque Donald Judd s'aperçut qu'il ne pourrait
jamais faire des tableaux qui ne représenteraient qu'une surface
signifiante, sans profondeur, à moins d'en passer par la peinture
monochrome, il choisit de s'intéresser à l'élaboration
d'oeuvres véritablement réelles qui ne seraient ni de
la peinture ni de la sculpture : des volumes géométriques
en trois dimensions, aux matériaux et couleurs industriels et
qu'il appelle des "objets spécifiques" parce qu'il
n'y sera plus question de modelage, de taille ou d'élagage qui
ont trop d'effets anthropomorphiques .
Ce sont des entités tautologiquement réduites
à la matière et au volume pur, qui ne proposent ni temps
ni espace au delà d'eux-mêmes.
Cette oeuvre est l'exemple le plus radical d'un "objet
spécifique" et c'est en 1965 (date de l'oeuvre) qu'il le
réalise la première fois idéalement.
Dans son texte "Specific Objects" publié
dans Arts Yearbook 8 en 1965 et traduit dans le livre édité
par la galerie Lelong, Donald Judd écrit: "Three dimensions
are real space. That gets rid of the problem of illusionism and of literal
space, space in and around marks and colors - which is riddance of one
of the salient and most objectionable relics of European art" (Les
trois dimensions sont l'espace réel. Cela élimine le problème
de l'illusionisme et de l'espace littéral, de l'espace qui entoure
ou est contenu dans les signes et les couleurs - ce qui veut dire qu'on
est débarrassé de l'un des vestiges les plus marquants,
et les plus criticables, légués par l'art européen);
et dans un entretien avec Lucy Lippard (Art in America, juillet/aout,
1967) Donald Judd dit "The main virtue of geometric shapes is that
they aren't organic, as all art otherwise is". (La qualité
essentielle des formes géométriques vient de ce qu'elles
ne sont pas organiques, à la dfférence de toute autre
forme dite artistique). Voir au sujet de cette oeuvre le texte de Michel Gauthier
"Les idéalités sculpturales..."in art présence
n°22, avril 1997 p.8 : "De fait, Judd, en 1965, délaissant l'art
pictural, accroche sur le mur, en lieu et place du tableau, des "boîtes"
métalliques. Ce virage décisif dans la carrière
de l'artiste a une justification précise et officielle : seul
le passage à des objets tridimentionnels permettrait une sortie
hors du domaine illusionniste qui est fatalement celui d'une peinture
aux prises avec la polarité de la figure et du fond. Judd écrit
d'ailleurs, à cette époque, dans son essai Specific Objects
: "Les trois dimensions sont l'espace réel. Cela élimine
le problème de l'illusionnisme..." Ces premières "boîtes" de 1965,
qui ont charge, tout à la fois, d'acter et d'emblématiser
la rupture de l'artiste avec la pratique picturale, énoncent
clairement les griefs adressés à ce tableau dont elles
deviennent le substitut. En troquant exemplairement la tôle galvanisée
ou l'acier inoxydable contre le lin ou le coton, l'oeuvre adopte, d'une
part, un matériau qui n'a pas pour fonction traditionnelle d'être
le support d'une image, d'autre part, un volume qui romp franchement
avec la planéité du mur sur lequel il se détache.
Ainsi un parallélépipède vient-il s'accrocher sur
un mur pour y faire voir, non pas, comme le tableau, autre chose que
lui-même, mais son être matériel, dans ses définitions
morphologique, matériologique et volumétrique. En plaçant
son plus grand côté de telle façon qu'il soit perpendiculaire
au mur, et non parallèle comme l'est, d'ordinaire, celui du tableau
..., le parallélépipède de Judd accuse remarquablement
sa tridimensionnalité. Voilà un parallèlépipède
qui ne cherche pas, sur le mur où il est accroché, à
faire oublier son relief. En d'autres termes, cette "boîte",
de la sorte disposée, dénonce objectivement deux illusions,
un peu différentes, du reste, de celle pour laquelle Judd a officiellement
renoncé à la peinture : l'illusion qu'entretient la peinture
d'être sans support, l'illusion qu'entretient ce support, le tableau,
d'être exempt de troisième dimension."
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