LE CONTEXTE DE L'ART

Lorsqu'un musée demanda à Marcel Duchamp s'il pouvait exposer le fameux porte-bouteilles de 1914, Marcel Duchamp répondit qu'il ne l'avait pas conservé et que le directeur n'avait qu'à en acheter un autre directement dans un grand magasin!

Voilà une réponse d'artiste qui devrait nous donner à réfléchir sur ce qui constitue une oeuvre d'art et sur le rôle de l'objet dans cette oeuvre.

Le porte-bouteilles n'est pas une oeuvre d'art, ce n'est qu'un objet de l'art de Duchamp. Seule l'idée de prendre un objet ready-made et de le placer dans un musée pour susciter les réactions des visiteurs fait véritablement oeuvre. L'objet, lui, est standard, jetable, interchangeable.

Ainsi nous sommes redevables à Marcel Duchamp d'avoir donné à la réflexion et à l'analyse de l'oeuvre dans son contexte, le statut d'art.

Cette analyse entraîne l'amateur d'art à refuser toute forme d'art qui n'intégrerait pas à l'oeuvre son espace, son mode de présentation, les effets de sa perception ou les modalités de son acquisition. Il se désintéresse ainsi de l'atelier qui enferme le peintre avec son chevalet et sa palette; il ne se sens pas non plus concerné par les peintures que l'on présente avec des cadres, des cornières et des spots directionnels, par les sculptures portées par des socles, par les dessins ayant un verre de protection et une jolie "marie-louise".

Tous ces éléments rattachés à l'oeuvre d'art traditionnelle et qui en quelque sorte l'encadrent sont repensés par l'art minimal & conceptuel qui préfère les remplacer par un cadre beaucoup plus large : celui du contexte architectural, social, idéologique, psychologique; contexte qui se trouve ainsi rattaché à l'expérience globale que nous avons de l'oeuvre.

Cette expérience qui s'oppose aux attitudes contemplatives pour susciter une prise de position de la part du spectateur, a conduit naturellement à privilégier les artistes qui donnent la parole à leurs interlocuteurs, à ceux qui les associent à l'élaboration et à la réalisation de leurs oeuvres.

Le collectionneur est ainsi amené à réaliser lui-même un dessin mural de Sol LeWitt, à mettre en situation une oeuvre de Daniel Buren, à matérialiser un Statement de Lawrence Weiner, à peindre des toiles de la même couleur que les murs sur lesquels elles sont accrochées pour Claude Rutault... et plus récemment à établir un programme avec Sylvain Soussan dont l'Entreprise propose tous matériels utiles à l'exercice de la conservation et de la mise en valeur des collections (fabrications spécifiques, offre de services, encadrement des oeuvres et du public, restauration des oeuvres et du public...), à discuter dans le forum créé par Antoine Moreau sur Usenet, de la question : "Qu'est-ce qu'une exposition ?...à faire son marché gratuitement avec Matthieu Laurette qui n'achète que des produits "1er achat remboursé" et "satisfait ou remboursé".

Se joue alors toute une série d'éclatements des procédures, des rôles et des circuits traditionnels inhérents au champ artistique. Le jeu sur les limites matérielles, spatiales et temporelles engendre de nouvelles règles; les dispositifs mis en place nécessitent l'intervention de nouveaux intercesseurs au statut hybride qui investissent les réseaux même de l'art : là, se trouvent à la fois le contenu et la métaforme d'un art qui ne peut plus être créateur de formes.

Tout devient évolutif dans une pratique artistique où l'art tient moins à la nature conventionnelle de ses objets qu'à la façon dont on va l'inscrire dans des contextes successifs toujours différents. Nous franchissons alors une nouvelle étape en constatant qu'à force de suivre les réseaux de l'art dans ses connexions avec notre société nous pouvons nous attacher à ce qu'est notre société et à ce qu'elle engendre.

Puisque depuis Cézanne, qui nous donnait déjà la vérité en peinture, on prône une vision du monde tel qu'il se présente, il est possible aujourd'hui de remettre la réalité de l'art sur ses pieds, de refuser la fiction telle qu'elle est jouée par de nombreux artistes actuels. Nicolas Bourriaud avance très justement que "les artistes contemporains trouvent leurs modèles théoriques et pratiques en dehors du monde de l'art empruntant leurs formes et leurs méthodes à d'autres champs de savoir." Explorons donc ces modèles non pas à travers leurs interprétations artistiques mais directement sur leur lieu d'origine là où se trouve la réalité sociale; l'esthétique traditionnelle de l'oeuvre d'art serait ainsi remplacée par une esthétique du réel qui s'attacherait à la révélation du contexte social.

L'amateur d'art "nouveau" commence donc par aller voir ce que les artistes produisent et ce que notre société consomme (ce sont des faits de société et à ce titre ils sont édifiants), ensuite il sort des lieux de l'art pour parcourir les campagnes de publicité de Benetton parce qu'elles créent un autre style de communication (la capote sur l'obélisque de la place de la Concorde avec Act up en a questionné plus d'un !), il analyse le procès Simpson (au pénal, les noirs contre les blancs l'acquittent puis au civil, les blancs contre les noirs le condamnent !) ou la psychose de Jacques Mesrine qui a su trouver en Paris Match son meilleur agent, il surfe sur les réseaux que l'Internet nous propose et dont le potentiel est impressionnant (Bill Gates fascine infiniment plus que n'importe quel artiste utilisant ses logiciels pour créer une oeuvre). Et il observe encore bien d'autres faits qui émanent de notre société; là, des domaines qui ne se revendiquent pas comme étant de l'art, produisent pourtant les mêmes effets que l'art mais suscitent une réflexion, une prise de conscience et une mobilisation pour des justes causes que nous ne retrouvons qu'édulcorées dans les recyclages et adaptations diverses opérés par les artistes.

Dans cette optique nouvelle, l'amateur d'art se libère de l'esprit traditionnel de l'art matériel, participe à des activités périphériques à l'art : la communication, la mode, le design, l'architecture, l'informatique... mais aussi les jardins, le sport, la fête etc...et s'investit dans différents réseaux interactifs où l'idée de l'art et son histoire deviennent indissociables de l'histoire de notre société.

Brecht, Godard et l'art minimal ont libéré leurs spectateurs du spectacle en les amenant à se réserver pour des actions réelles et non pas imaginaires. De son côté, l'artiste d'aujourd'hui exclue de son comportement tout le superflu, reste neutre, n'exhibe ni n'exprime les émotions des autres, abandonne tout ce qui de l'artiste du passé faisait la force: son talent, son savoir-faire, sa valeur mythique, son charisme.. et personnellement, je me sens proche d'une certaine esthétique de l'indifférence, d'une esthétique qui mène à un art sans art, à un art intentionnellement sans intention , et cela, c'est déjà tout un art !.

GMV,1992

Pour voir de l'art sortez-vous des lieux spécifiques à l'art ?

 

Accueil

Agent d'art, Expert-conseil
Expert honoraire près la Cour d'Appel de Paris
Membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art
59, ave Ledru-Rollin 75012 Paris France
Tel: 33 (0)1 40 02 07 40 Fax: 33 (0)1 40 02 07 50
E-Mail:
mollet-vieville@noos.fr