Art & Language
(Michael Baldwin, Terry Atkinson)

(un article pour le catalogue de la collection du
FRAC Nord Pas de Calais, 1996)



    A la fin des années 60, Art & Language est constitué d'artistes anglais et américains travaillant en équipe pour le développement de l'art conceptuel . Leurs investigations autour d'une réflexion sur l'art et son rôle dans le champ social, correspondent souvent à la mise en pratique d'une analyse qui déporte l'art, de l'objet vers le contexte dans lequel il émerge.

    Les différents membres du groupe ont écrit un nombre considérable de textes (entre autres dans la revue Art-Language) qui se veulent l'écho des dialogues ayant inspiré leurs travaux . Pour eux, l'idée d'une oeuvre et sa réalisation sont interdépendantes : leurs débats (ce qu'ils appellent leurs "conversations") passent ainsi au premier plan dans leur production d'artistes.

    Le thème de la cartographie est récurrent dans les premières propositions de Terry Atkinson et Michael Baldwin, à commencer par la "Map of itself" (carte d'elle-même) :


    Map of an area of dimension 12''x12'' indicating 2.304 1/4" squares
    (Map of itself)
    La carte d'une surface de 12 inches par 12 inches indiquant 2.304 carrés de 1/4 inch chacun, se décrit elle-même pour ce qu'elle est; son sens naît de ce qu'elle révèle et met en équivalence l'intention de l'artiste et la description de l'oeuvre qui ne font plus qu'un. L'ensemble constitue un système clos où le titre et la carte se réfèrent l'un à l'autre pour créer une auto-définition chère à l'art conceptuel.

    La carte pour ne pas indiquer le Canada, la James Bay, l'Ontario... indique tout sauf ce qu'elle n'indique pas; elle exclut donc les informations que l'on serait en droit d'attendre d'une carte de géographie à savoir les rapports entre les lieux; elle joue l'écart entre ce qu'elle énonce et ce qu'elle donne à voir : en conséquences, elle n'a plus aucune fonction en tant que carte informative.

    Map to not indicate: Canada, James Bay...

    Ces deux cartes ont pour principe de fournir des informations qui sont parfaitement exactes et irréfutables dans la mesure où elles ne renvoient qu'à elles-mêmes et comme elles ne représentent pas des réalités qui leurs seraient extérieures, il est clair qu'elles ne peuvent être qu'un prétexte à exposer une recherche théorique du système représentatif.

    Avec l'oeuvre A question of dialectical materialism? qui se présente sous une forme énigmatique de mots successifs, le lecteur n'a pas d'autre choix que de se concentrer intensément sur l'oeuvre. A cause de la difficulté qu'il éprouve alors à percevoir son sens, il ne peut en faire une interprétation au delà d'elle-même et se trouve privé non seulement de toute rêverie romantique, mais aussi de toute possibilité de se référer à une idéologie artistique dominante (comme cela avait pu être le cas avec l'emprise de Greenberg dans les années 60). En fait les artistes avouent que le terme "SURF" est sans signification comme la suite des mots que l'on cherche à relier entre eux. "This work suggests that meaningfulness is signification" nous explique Michael Baldwin. Pour lui, le spectateur doit choisir sa propre lecture, il devient partie prenante de l'oeuvre et se place, par l'effort qu'il s'impose, dans un rapport d'équivalence avec l'artiste.

    A question of dialectical materialism

    En analysant les codes de représentation du monde réel (ici géographique et linguistique) ces artistes mettent en évidence le mécanisme de la perception en général et nous font prendre conscience que nous communiquons à travers des codes multiples qui s'entrecroisent pour témoigner de ce que nous croyons être une réalité. En fait l'objectivité de notre regard n'est qu'une illusion idéologique, et notre perception loin d'être neutre est au contraire codée socialement. Le propos de ces artistes consiste donc à démasquer les aberrations perverses de nos codes dans leur fonction de représentation.

    Art & Language a été fondé en 1968 par Terry Atkinson , Michael Baldwin, David Bainbridge et Harold Hurrell. Jusqu'à trente personnalités (dont Joseph Kosuth, Ian Burn et Mel Ramsden à partir de 1969) se regroupèrent sous cette dénomination; aujourd'hui, seuls Michael Baldwin, Mel Ramsden et Charles Harrison restent des membres actifs du groupe.

    Dans le titre Map to not indicate : Canada, James bay, Ontario... il y a ce que les Anglais appellent un "split infinitive" c'est à dire un modificateur intercalé entre le verbe et "to" (particule signalant la forme infinitive). La forme normale serait "Map to not indicate". Ici en revanche, "not" devient partie intégrante du verbe qui devient "to not indicate" et cette formule verbale est là pour indiquer que cette carte obéit à un paradoxe : elle ne doit pas figurer, elle doit dissimuler.

    GMV, 1996

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